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Ecrit par Florian Masseube
"Ce ne sont pas les plus forts qui survivent, mais ceux qui s’adaptent le mieux au changement."
— Charles Darwin
Climat, instabilité géopolitique, montée des inégalités, accélération réglementaire… Les entreprises naviguent aujourd’hui dans un environnement mouvant, complexe, parfois imprévisible. Et dans cette mer agitée, un mot revient avec insistance : résilience.
Mais être résilient, ce n’est pas seulement résister aux chocs. C’est savoir les anticiper, s’y adapter, et en faire des leviers de transformation. C’est ici que la gestion des risques prend toute sa dimension stratégique. Et lorsqu’elle est couplée à une démarche de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), elle devient bien plus qu’un outil de protection : elle devient un moteur de performance durable.
1. Risques et RSE : deux notions désormais indissociables
Pendant longtemps, la gestion des risques s’est concentrée sur les dimensions financières, opérationnelles ou juridiques. On parlait de sinistres, d'accidents, de défauts de conformité. Mais cette vision est aujourd’hui largement dépassée.
Les entreprises sont confrontées à des risques systémiques, souvent invisibles ou mal cartographiés, mais à l’impact potentiellement dévastateur : dérèglement climatique, perte de biodiversité, mouvements sociaux, attentes éthiques des consommateurs, ruptures d’approvisionnement liées à des pratiques non responsables… Autant de facteurs qui peuvent affecter directement la continuité de l’activité, la réputation, et même l’accès au financement.
👉 La RSE devient ainsi un prisme incontournable pour penser les risques autrement : plus largement, plus finement, plus stratégiquement.
Et ce n’est pas une vue de l’esprit. La directive européenne CSRD impose désormais à certaines entreprises en Europe de réaliser une analyse de double matérialité, un outil qui oblige à regarder à la fois :
- Les risques que le monde fait peser sur l’entreprise (matérialité financière),
- Et ceux que l’entreprise fait peser sur le monde (matérialité d’impact).
Matrice de double matérialité Groupe Ebra : Rapport de durabilité 2024
2. Travailler les risques, c’est investir dans sa pérennité
S’intéresser à ses risques RSE, ce n’est pas faire preuve de pessimisme. C’est faire preuve de lucidité stratégique.
Plusieurs bénéfices concrets émergent de cette démarche :
- Anticiper les disruptions : en comprenant les signaux faibles, on évite d’être pris de court par un changement brutal (ex : interdiction de certaines substances, évolution des normes de reporting, pression sociétale…).
- Gagner la confiance des parties prenantes : salariés, investisseurs, clients cherchent aujourd’hui des entreprises qui prennent leur impact au sérieux.
- Répondre aux exigences réglementaires : CSRD, devoir de vigilance, taxonomie verte… les obligations se multiplient, et les sanctions en cas de non-conformité aussi.
- Renforcer la robustesse des modèles économiques : une entreprise qui sécurise ses ressources critiques, qui forme ses collaborateurs aux enjeux ESG, qui dialogue avec ses parties prenantes est naturellement plus résiliente.
📊 Une étude de McKinsey montre que les entreprises intégrant les critères ESG de manière stratégique sont 2,6 fois plus susceptibles d’être considérées comme des leaders en matière de performance à long terme.
3. Quelles approches pour gérer les risques RSE ? Une montée en maturité par étapes
La bonne nouvelle, c’est qu’il n’est pas nécessaire d’être une multinationale pour s’y mettre. Il existe une progression accessible et adaptée à toutes les tailles d’entreprise, de la TPE à l’ETI. Voici un cheminement en 4 étapes (il est possible de s'arrêter à l'étape 1 et d'avoir une approche progressive dans la démarche) :
🔹 Étape 1 : Le SWOT enrichi RSE — pour structurer la réflexion de départ
Le SWOT (forces, faiblesses, opportunités, menaces) est un outil simple, mais redoutablement efficace pour commencer à penser RSE de façon stratégique. L’idée ici est d’intégrer une grille de lecture ESG.
Exemples :
- Force : entreprise implantée localement avec des circuits courts → avantage compétitif.
- Faiblesse : dépendance à une matière première importée, à fort impact carbone.
- Opportunité : développement du marché des produits responsables.
- Menace : durcissement de la réglementation environnementale ou pression des consommateurs.
🎯 L’enjeu est de dépasser le diagnostic classique pour faire émerger une compréhension élargie de l’environnement dans lequel évolue l’entreprise.
🔹 Étape 2 : La cartographie des risques RSE — pour hiérarchiser les enjeux critiques
Une fois les grandes tendances identifiées, il est temps de passer à une analyse plus fine des risques : leur probabilité d’occurrence, leur impact potentiel, et la capacité de l’entreprise à les gérer.
Cette cartographie peut être réalisée via des matrices simples (probabilité x impact) et des ateliers collaboratifs mobilisant les différentes fonctions de l’entreprise : production, RH, finance, communication…
Exemples de risques à considérer :
- Pénurie d’énergie,
- Pression sociale sur les conditions de travail,
- Risque de réputation sur les pratiques fournisseurs,
- Aléas climatiques impactant la logistique.
🔍 À ce stade, il s’agit déjà de sortir du silo : la RSE devient un sujet partagé, transversal, stratégique.
Rapport Extrafinancier Reworld Media : Rapport extra-financier 2021
🔹 Étape 3 : La consultation des parties prenantes — pour enrichir et objectiver la perception des risques
Les entreprises ne sont pas seules à percevoir les risques. Clients, fournisseurs, collaborateurs, partenaires financiers, collectivités… tous ont une vision différente, souvent complémentaire, parfois divergente.
Les interroger, c’est :
- Révéler des angles morts,
- Tester la cohérence entre les engagements de l’entreprise et les attentes réelles,
- Construire une vision collective des priorités.
Cette étape peut être menée via des enquêtes, des entretiens qualitatifs ou des ateliers multi-acteurs. Et elle devient incontournable dès que l’entreprise souhaite aller au-delà du diagnostic interne.
🔹 Étape 4 : La matrice de double matérialité — pour piloter une stratégie RSE intégrée
C’est l’étape la plus aboutie. Elle permet de croiser deux dimensions :
- Ce qui est matériel pour la performance de l’entreprise (impact sur le chiffre d’affaires, la réputation, la conformité…),
- Ce qui est matériel pour la société et la planète (émissions, droits humains, pollution, biodiversité…).
Ce croisement fait émerger les enjeux critiques à traiter en priorité, ceux qui combinent un fort impact sociétal et un fort enjeu business.
💼 De plus en plus d’investisseurs, d’acheteurs publics et de partenaires exigent aujourd’hui ce niveau de transparence et de maturité.
4. Transformer les risques en opportunités : le vrai défi stratégique
Il ne suffit pas d’identifier les risques pour créer de la valeur. Encore faut-il savoir les transformer en opportunités. Et c’est là que l’intelligence collective, l’innovation et l’audace entrent en jeu.
Quelques exemples :
- Une entreprise qui anticipe la fin des plastiques à usage unique peut espérer anticiper des alternatives compostables et gagner de nouveaux marchés.
- Un transporteur qui s’adapte aux zones à faibles émissions (ZFE) devient un partenaire plus fiable pour ses clients.
- Une TPE qui forme ses salariés aux enjeux climatiques crée une culture interne plus engagée et attractive.
💬 "Les risques ne sont pas des menaces. Ce sont des signaux faibles. Des invitations à agir autrement."
5. La gestion des risques RSE : un levier de sensibilisation et de répartition des responsabilités
Un autre effet vertueux — et souvent décisif — de l’analyse des risques RSE, c’est sa capacité à révéler les responsabilités partagées au sein de l’organisation. Lorsqu’une entreprise cartographie ses risques sociaux, environnementaux ou éthiques, elle met souvent en lumière des sujets qui dépassent largement le périmètre du seul service RSE.
👉 C’est à ce moment précis que la prise de conscience opère dans les autres directions : RH, achats, production, logistique, juridique ou encore IT réalisent qu’elles sont concernées, voire directement exposées à certains risques.
Prenons quelques exemples :
- Un risque lié à la qualité de vie au travail ou aux troubles musculo-squelettiques ne peut être géré sans une implication forte de la direction des ressources humaines et des managers de proximité.
- Un risque de non-conformité dans la chaîne d’approvisionnement soulève immédiatement la question des pratiques d’achat, du suivi fournisseurs, et donc de la direction des achats.
- Un risque cyber ou lié à la protection des données personnelles implique naturellement les équipes IT et le DPO (Data Protection Officer).
Comment s’est passée la mise en place de la RSE dans votre entreprise ?
Au départ, j’étais un peu seule dans cette démarche. La direction affichait un réel engagement, mais les autres services ne se sentaient pas forcément concernés. Ils étaient absorbés par leurs priorités opérationnelles du quotidien, ce qui rendait difficile l’intégration de la RSE dans leurs pratiques.
Qu’est-ce qui a permis de les embarquer ?
En adaptant mon discours à leurs enjeux, leurs risques et leurs opportunités. Avec l’équipe commerciale, par exemple, j’ai mis en avant les bénéfices concrets en termes de relation client. Pareil avec la finance. C’est un travail de fond, mais quand chacun voit ce que cela peut lui apporter, l’adhésion suit naturellement.
Un résultat marquant ?
Le service commercial, par exemple, voit aujourd’hui la RSE comme un levier de différenciation : elle peut créer un lien différent avec les clients, plus long terme, plus humain.![]()
🎯 Autrement dit, la cartographie des risques devient un outil pédagogique puissant pour faire émerger une vision systémique des enjeux et instaurer un langage commun entre les fonctions.
Et ce changement de perception est crucial. Il permet :
- De sortir d’une logique descendante ou isolée de la RSE,
- De repartir les responsabilités de manière cohérente et opérationnelle,
- De mobiliser les expertises là où elles sont,
- Et de créer une dynamique collective, plus fluide, plus crédible et plus efficace.
C’est aussi un excellent moyen de faire évoluer la gouvernance de la RSE, en intégrant les directions métiers dans les comités RSE ou les cellules de pilotage des plans d’action.
👉 Car au fond, une entreprise ne progresse durablement que lorsque la gestion des risques devient l’affaire de tous — et pas seulement d’un département “engagé”.
Conclusion : de la contrainte à la différenciation
Oui, la gestion des risques RSE demande du temps, de l’analyse, de l’implication. Mais elle offre en retour un avantage inestimable : la capacité à faire de la RSE un levier stratégique, et non une charge.
Elle permet de fédérer les équipes, de renforcer la crédibilité de l’entreprise, de construire un modèle d’affaires plus durable, plus désirable, plus préparé à affronter l’avenir.
Et surtout, elle donne à chaque dirigeant une conviction forte :
👉 mieux vaut anticiper que réparer. Mieux vaut agir que subir.
📚 Pour aller plus loin
- World Economic Forum – Global Risks Report 2024
www.weforum.org/reports/global-risks-report-2024 - CDP – Global Climate Analysis
www.cdp.net - EFRAG – Double Materiality Guidance under CSRD
www.efrag.org - McKinsey & Company – The ESG premium: new perspectives on value and performance
www.mckinsey.com